Regard sur l'info. La création d'une nouvelle forme de colonialisme : le colonialisme vert
Comme chaque semaine, Thomas Snégaroff reçoit l'auteur d'un livre qui éclaire l'actualité, et cette semaine, il est question du "colonialisme vert" avec le maître de conférence à l’université Rennes 2, Guillaume Blanc.
Dans Regard sur l’info, chaque dimanche, Thomas Snégaroff reçoit un auteur dont le livre, qui vient de paraître, éclaire l'actualité. Aujourd'hui, son invité, Guillaume Blanc est maître de conférences à l’université Rennes 2. Dans son livre, publié chez Flammarion, L’invention du colonialisme vert, pour en finir avec le mythe de l’éden africain, Guillaume Blanc nous explique que l’Afrique aux vastes espaces vierges de présence humaine n’existe pas.
Il y a des peuples qui circulent depuis des millénaires. Ils sont agriculteurs et cultivateurs, expulsés par milliers, au nom de la protection de l’environnement avec la création d’espace naturels. La création d’une nouvelle forme de colonialisme : le colonialisme vert.
Thomas Snégaroff : Prenons Le Roi Lion pour exemple. Célèbre dessin animé de Walt Disney. Que vous évoque-t-il ?
Guillaume Blanc : Ce que l’on ne sait pas vraiment, c’est que cela vient d’un manga qui s’appelle Le Roi Léo écrit à la fin des années 50 par Osamu Tezuka. En pleine époque coloniale. Et on est déjà dans l’invention du mythe de cette planète verte, vierge, sauvage que serait l’Afrique. Le problème c’est que cette Afrique n’a jamais existé. Au lieu d’une Afrique "vide", c’est une Afrique "vidée" de ses habitants, que protègent les institutions internationales comme l’UNESCO ou le WWF.
Ce qui est très intéressant dans vos recherches, c’est qu’au départ vous êtes même surpris de ne pas trouver en Afrique le continent que vous espériez ?
Exactement. Moi, j’ai commencé ces recherches dans les parcs nationaux français. Et je me suis aperçu que l’UNESCO et le WWF, par exemple, soutenaient les agriculteurs et les bergers qui façonnaient la nature. Mais je me suis aperçu aussi, avec les archives, qu’en Afrique, ces mêmes institutions s’efforçaient de naturaliser l’espace par la force. C’est-à-dire de le déshumaniser.
Oui parce que Le Roi Lion, c’est une Afrique sans Africains. Et vous montrez, dans votre livre, que pour l’occidental, l’ennemi, c’est l’Africain. En particulier l’agriculteur, qui détruit une nature que l’on devrait protéger ?
Exactement. On a toujours, pour le même paysage, deux histoires. Une histoire d’adaptation, toujours une histoire européenne. Mais, en Afrique, on continue à avoir une histoire de dégradation. Comme si l’environnement africain serait détérioré par les agriculteurs trop nombreux et mal habiles. Le problème, c’est que tout cela relève d’un mythe et que ce mythe nous vient de l’époque coloniale. Et il continue à faire des ravages aujourd’hui : des morts, des expulsés, des agriculteurs criminalisés au quotidien. Alors que, eux, ne participent pas à la crise écologique.
Alors qui participe à la crise écologique ?
Quel que soit notre bord politique, les faits sont là. C’est notre mode de vie, consumériste et capitaliste, qui nous a entraînés jusque-là. Le problème c’est que, plutôt que de remettre ce dernier en doute, on s’exonère des dégâts en se disant qu’on sauve, là-bas, une Afrique naturelle, belle, vierge, sauvage. Le problème, c’est que pour ça, il faut expulser des agriculteurs et des bergers. Et ce sont eux qui payent le coût de la lutte écologique. Alors qu’ils ne participent pas à ces débats qu’on dénonce.
Donc, quand on imagine les parcs
nationaux dans des pays comme le Kenya ou le Rwanda, et que nous y
voyons un modèle de développement, vous nous dites que c’est un modèle
de sous-développement...
J’aurais aimé raconter une
autre histoire, mais malheureusement, les archives ne mentent pas. À
l’époque coloniale, quand la nature disparaît en Europe sous les coups
de la révolution industrielle, les colons croyaient retrouver cette
nature en Afrique et inventaient des réserves de chasse. Ces dernières
deviennent des parcs nationaux, dans lesquels ils privent les Africains
du droit à la terre. Et en 1961, l’UNESCO et l’UICM reconvertissaient
les administrateurs coloniaux en experts internationaux, et ils avaient
l’idée d’inventer une banque dont la première mission serait de
poursuivre le travail "accompli dans les parcs" (je cite les
archives). Cette banque va avoir un nom : "Le fond mondial pour la
nature", c’est-à-dire le WWF. Ses politiques n’ont pas changé depuis.
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