Je vous propose la lecture de cette tribune rédigée par Alex Clamens. Le Loup n'est pas encore dans le Val d'Allier, mais il y passera un jour (ou peut-être pas, et je ne sais pas - dans son intérêt - s'il faut le souhaiter). Est-il nécessaire d'ajouter que si je publie ce texte c'est que je le partage ?
Photographie :
Chris Muiden [CC BY-SA 3.0
(http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/)]
<< La
position de nos associations naturalistes sur le loup peut être
résumée ainsi : l’objectif est de permettre le retour de l’espèce
en France avec un objectif de 500 individus, seuil de viabilité
génétique. Mais cette expansion doit se faire en aidant les
éleveurs, l’objectif étant d’arriver à une acceptation de
l’espèce et donc à une minimisation des dégâts. Il faut donc
arriver à concilier loup et élevage. Et l’Italie est donnée en
exemple de cohabitation réussie. Il est également mis en avant que
la France est le deuxième pays en nombre de moutons tués par loup
et par an (22,5, le record est la Norvège avec 47,7, l’Italie est
à 2). Ce sont ces points que je voudrais discuter.
Depuis le retour de l’espèce en 1992, l’aire de répartition
s’étend et la population de loups augmente. Les dégâts aussi, et
ce malgré les divers plans et aides : chiens de protection, aide
berger, clôtures, cabanes. Il semble que rien ne puisse arrêter
cette augmentation des moutons tués et on dépasse aujourd’hui les
11 000 par an alors que des sommes conséquentes ont été investies
(22,5 millions d’euros en 2018 pour protection et indemnisation).
Dans le Champsaur (Hautes-Alpes), où j’ai une maison, 7 alpages
possèdent des chiens (Patou ou berger d‘Anatolie). Cette année,
un loup a été tué par un patou sur un des alpages. On pourrait
dire la protection est efficace mais il s’agissait d’un individu
isolé qui a révélé à l’autopsie avoir du plomb dans le derme,
donc affaibli et contraint d’attaquer seul un troupeau. Un peu plus
au sud par contre, dans les Alpes de Haute-Provence, un troupeau
protégé par 3 patous a été attaqué : bilan plusieurs dizaines de
brebis tués ainsi que 2 patous. On peut donc s’interroger sur
l’efficacité des mesures prises.
Et
en Italie ? J’ai vu deux reportages, un à la télé, l’autre
dans Le Monde, avec des troupeaux non attaqués malgré la présence
de loups. L’un comportait 1100 bêtes, fractionné en 10 troupeaux
de 110 moutons protégés chacun par 10 patous et un berger (albanais
ou macédonien, sans doute payé au black et corvéable à merci).
L’autre, de 1500 moutons, était protégé par 38 patous. On est
dans une autre échelle que nos troupeaux avec 2 à 3 patous. Quant
aux barrières de protection nocturne elles mesurent là-bas 3 m de
haut. Ce modèle italien est-il transposable chez nous ? Quel est son
coût ? Quel impact sur la rentabilité ? Est-il acceptable par le
monde agricole et nos concitoyens ? Les éleveurs sont-ils au courant
du niveau de protection réellement efficace ? Et les protecteurs du
loup ?
Puisque
l’on parle d’Italie, le rapport de la commission d’enquête
parlementaire sur le loup dans les années 1990 avait conclu que les
conditions n’étaient pas comparables des deux côtés des Alpes.
Alors que nous avons de grands troupeaux vulnérables en alpage
élevés pour la viande, les italiens ont de petits troupeaux pour le
lait rentrés la nuit. De plus, dans les Abruzzes l’élevage ovin
avait considérablement régressé au profit du bovin pour faire des
fromages râpés type parmesan plus lucratifs. Cette différence
expliquait le plus faible impact du loup en Italie. Mais j’ai lu
récemment que cette tendance a continué, avec dans les Abruzzes une
diminution des deux tiers de l’élevage ovin en 30 ans. De plus les
troupeaux italiens sont toujours plus petits, élevés près des
habitations, cet élevage régresse avec l’abandon des alpages les
plus éloignés ou non desservis par des pistes et donc plus
vulnérables au loup. Un coup d’œil en Espagne montre une
situation similaire : régression de l’élevage ovin dans de
nombreuses zones à loups (Asturies par exemple).
Du coup, quand on
compare les nombres de moutons tués par loup compare-t-on des choses
comparables ? La différence entre la France et ses voisins
reflète-t-elle une cohabitation réussie chez eux ou une disparition
de l’élevage ovin, due au loup ou à une absence de compétitivité
? D’autant plus que de l’autre côté des Alpes les loups sont
soumis à un braconnage intense. En 2003, Luigi Boitani (spécialiste
italien du loup, président de Gruppo Luppo Italia) estimait que 10 à
20% de la population italienne de loup était abattue illégalement
chaque année sans empêcher son accroissement annuel d’environ 6%.
Aujourd’hui il estime ce braconnage à 200 à 300 loups tués par
an, soit presque l’équivalent de toute la population française.
Ceux qui écrivent que tout se passe bien en Italie avec le loup, et
c’est un discours fréquent chez les protecteurs de l’espèce,
sont donc soit incompétents soit malhonnêtes. Quant à l’Espagne
on y compte 200 loups tués par an, légalement ce coup-ci.
Puisque
l’on en est à parler patous, ces chiens posent des problèmes de
cohabitation avec les randonneurs. Ces interactions sont minimisées
par les protecteurs du loup et amplifiées par ses opposants (normal
mais ça n’aide pas à réfléchir). Aucune statistique n’existe,
donc difficile d’y voir clair. Mais mon expérience personnelle m’a
montré que ça dépend beaucoup des chiens et des sites. Et après
quelques rencontres stressantes avec des chiens de protection (une
mâchoire de patou qui se referme, sans serrer heureusement, sur son
bras laisse un souvenir impérissable), moi qui suis un randonneur
montagnard pratiquant le hors sentier pour faire des sommets ou
observer des oiseaux et un peu d’alpinisme, j’ai arrêté de
fréquenter 6 des 7 alpages du Champsaur protégés par des chiens
(sur le 7ième le patou est une chienne sympa atypique qui vient se
faire caresser par les randonneurs auxquels le berger demande de
s’abstenir). Et j’ai enlevé de mes circuits VTT celui qui passe
à côté d’une ferme où l’éleveur possède un patou. L’été
dernier, en randonnant dans un secteur où je ne savais pas si le
berger avait un patou, j’ai passé une matinée stressante,
continuellement aux aguets afin de pouvoir repérer le chien avant
qu’il ne me voit. Vive la randonnée en montagne ! Mais il y a un
autre impact des patous qui mérite l’attention. Les gardes du parc
des Ecrins m’ont indiqué que sur les secteurs où ils sont
présents les patous éradiquent les marmottes. Renseignement pris,
dans le Mercantour la direction du parc indique qu’il s’agit d’un
problème ponctuel limité à certains alpages. Mais dans la Vanoise
il semble que la présence des patous élimine une grande partie de
la faune. Et je m’interroge sur l’impact sur le tétras lyre,
sachant que l’un des moyens de gestion utilisé pour entretenir les
milieux favorables à cette espèce est justement l’élevage ovin
extensif, et qu’un troupeau de moutons en aulnaie verte est
justement un troupeau très vulnérable à la prédation, donc
susceptible d’être protégé par des chiens. Beaucoup de flous
donc qui laisse la porte ouverte à toutes les interprétations de la
part des éleveurs comme des naturalistes protecteurs du loup.
Autre
point de réflexion, le fameux seuil de 500 loups. Cette valeur
résulte de calculs de biologie des populations et il faut savoir :
-Qu’il
est discuté par les spécialistes ;
-Qu’il
est basé sur des mesures de diversités génétiques avec des
allèles dont on ignore la valeur sélective et même s’ils en ont
une ;
-Que
l’on ne connaît aucune espèce dont on soit sûr que l’extinction
ou la régression soit la conséquence d’une diversité génétique
trop faible due à un effectif trop petit ;
-Que
les exemples abondent chez les animaux, et encore plus chez les
plantes avec chez ces dernières un recours à l’autofécondation,
d’espèces qui ne régressent pas avec des effectifs réduits, ou
qui se sont reconstituées après être passés par des effectifs
très faibles (loup des Abruzzes, bouquetin des Alpes, éléphant de
mer boréal, condor de Californie).
En
résumé, cette valeur de 500 c’est probablement du pipeau.
Enfin,
j’ai été frappé (ça m’a fait un choc) dans l’émission de
public sénat par ce couple de jeunes agriculteurs résignés qui
avait diversifié ses activités en se lançant dans l’élevage
ovin et qui avait dû abandonner à cause du loup. En effet, le
système n’était viable que si le troupeau restait dehors la nuit
car ils n’avaient pas le temps de le rentrer le soir et de le
sortir le matin (2 heures par jour, incompatible avec les autres
activités). On est donc face à des gens qui bossent dur, qui sont
en équilibre financier instable avec de petits revenus, et qui sont
menacés dans leur survie par le loup. Et des naturalistes
confortablement installés en ville vont leur expliquer que c’est
important pour protéger la biodiversité. De même, j’ai constaté
sur le Causse Méjean que les troupeaux de brebis allaitantes restent
en bergerie, et j’ai l’impression (ça m’a été dit) que c’est
à cause du risque de prédation par le loup. Du coup, nous,
naturalistes membres de la LPO, sommes en porte à faux. En effet,
nous encourageons une agriculture douce, biologique, en circuit
court, celle justement que le loup met en difficulté. Et nous
manifestons pour le bien-être animal alors que la présence du loup
conduit à maintenir les animaux en intérieur, nourris au foin et
pas à l’herbe. Si je voulais être provocateur je rajouterais à
l’adresse des naturalistes végans que en tant que mouton je
préférerais être occis dans un abattoir agréé où l’on
travaille proprement que éventré par un loup dans la nature après
une longue agonie.
Je
pense donc que le problème loup est un problème complexe, plus
complexe que l’on ne veut le faire croire. Je suis incapable de
dire si la cohabitation loup élevage est réellement possible. Je
crois que la seule manière de protéger est d’éduquer le loup en
lui faisant associer mouton et danger, et je pense que les tirs
blessant non létaux sont la solution (le loup qui aura pris une
décharge, ou une balle en caoutchouc, en attaquant des moutons
réfléchira la fois suivante). Les éleveurs doivent comprendre que
l’éradication est impossible car il faudrait utiliser piège et
poisons, et que si le loup n’était plus protégé ils perdraient
toutes les aides actuelles.
Mais
je pense aussi :
-Qu’il
faut arrêter de stigmatiser les éleveurs, car ils ont le droit de
vivre de leur travail avec un maximum de confort, qu’ils ont autant
de droit que d’autres sur les espaces naturels, et dans l’absolu
toute stigmatisation d’une profession comme d’une culture ou d’un
comportement humain est inadmissible, confronté au loup je réagirais
sans doute comme eux ;
-Que
les discours que j’entends à leur encontre sont insoutenables (ils
n’ont qu’à se protéger, ils sont remboursés, leurs pertes dues
au loup sont minimes, imaginez le même discours tenu à un
naturaliste qui a été cambriolé…).
Enfin
je suis personnellement opposé à toute politique qui tendrait à
faire disparaître l’élevage pour laisser la place au loup.
Peut-être est-ce la conséquence des gènes dont j’ai hérités de
mes ancêtres paysans cévenols, mais quand j’entends un
administrateur de la SNPN qui propose comme solution que l’on
abandonne des alpages difficiles à défendre contre le loup je suis
scandalisé. Je sens pointer chez certains cette volonté d’un
retour à la naturalité en déplaçant les hommes contre leur grès. Un naturaliste n’avait-il pas écrit dans 'Le Courrier de la Nature'
que les éleveurs ne sont que tolérés dans les parcs nationaux ?
Exactement ce qui se fait en Afrique, ou en Inde, quand on déporte
des populations pauvres loin des terres qui leur permettent de vivre
pour permettre la survie des tigres et des éléphants. Lors d’un
échange avec un célèbre naturaliste protecteur du loup, ce dernier
m’avait affirmé ne pas être choqué par ces déplacements forcés
de populations. Il s’agissait peut-être pour lui d’un point de
détail de l’histoire de la protection de la nature ? >>
A.C.