Mise en ligne d'un article de 2023 ...
Évolution de l'avifaune d'une série de méandres de l’Allier, depuis
cinquante ans.
Résumé :
De
1974 à 1978, un suivi complet (500 demi-journées) d’une zone de
425 hectares de la future Réserve Naturelle Nationale du Val
d’Allier a été réalisé pour les populations des 80 espèces
nicheuses du site, évaluées par différentes méthodes
[GUELIN
1978].
Les résultats montrent que depuis cinquante ans, 12 espèces ne
nichent plus (Alouette des champs, Bouvreuil pivoine, Bruant jaune,
Chevêche d'Athéna, Moineau friquet, Perdrix grise, Perdrix rouge,
Pipit rousseline, Sterne naine, Sterne pierregarin, Traquet motteux,
Vanneau huppé), et que 6 suivent malheureusement le même chemin
(Accenteur mouchet, Bergeronnette printanière, Bruant des roseaux,
Locustelle tachetée, Mésange boréale des saules, Pouillot fitis).
Les raisons de ces disparitions et diminutions sont l'enrochement du
lit de l'Allier, la modification du régime hydrologique, le
réchauffement climatique, et l'intensification de l'agriculture en
périphérie.
En
mémoire de Gaston Pic qui, à la tête d'un trio de naturalistes, a
réussi en 1983 à porter le projet ambitieux de la réserve
naturelle nationale du val d'Allier, contre vents et marées.
I-
Introduction :
De
1974 à 1978, il y a cinquante ans, nous avons réalisé un suivi
complet d’une zone de plus de 4 km2
de la future Réserve Naturelle Nationale du Val d’Allier (RNVA).
Ce dossier
[GUELIN
1978] n’a
jamais été publié et fait l’objet ici d’une note de synthèse
pour souligner les grandes modifications de l’avifaune de ce
secteur depuis 50 ans. La zone d'étude de 1978 couvre un tiers de la
superficie de la réserve actuelle, ce qui permettra des
extrapolations assez solides.
II-
Zone d’étude de 1978, et méthodes :
La
zone d’étude était une série de méandres de la rivière Allier,
dans le département de l’Allier, sur les communes de
Toulon-sur-Allier, Bressolles et Chemilly (Annexes
1, 2 et 3),
juste en amont de Moulins. La surface étudiée couvrait 425
hectares, dans ce qui deviendra en 1994 (sur 20 km de longueur et
1450 ha) le secteur nord de la Réserve Naturelle Nationale du Val
d’Allier . La longueur linéaire amont-aval de la zone étudiée
était de 4 km, mais celle du méandrage du chenal était de 6,5 km.
De 1974 à 1978, en cinq ans, 360 sorties de terrain (d’une matinée
ou d'une journée complète, soit environ 500
demi-journées
de terrain) ont été effectuées, complétées par des transects et
des quadrats. Cette bonne couverture de terrain a permis d’obtenir
près de 8000 données (complétées par quelques centaines de
données de Gaston
Pic)
sur 180 espèces dont 80 étaient alors nicheuses. Nous proposons ici
d’analyser l’évolution de ces espèces nicheuses, à partir des
données disponibles depuis sur le même secteur et de connaître
leur dynamique depuis cinquante ans. Des extrapolations sont
possibles à partir des données de la zone étudiée en 1978, à
l'ensemble de la superficie de l'actuelle réserve (1450 ha), grâce
à la similarité des milieux.

III :
Résultats synthétiques :
La
liste ci-dessous (tableau 1) reprend les 80 espèces nicheuses notées
entre 1974 et 1978. L’estimation du nombre de couples nicheurs sur
425 ha (tirée du dossier d'étude de 1978) est indiquée en colonne
3.
Les 12 espèces disparues en 2023 dans l'ensemble du secteur
étudié sont surlignées
en orange,
et les 6 espèces qui sont en très forte diminution en jaune.
Les espèces nicheuses actuelles sont tirées de la base de données
https://www.faune-aura.org.
Pour les périodes intermédiaires (années quatre-vingt-dix et deux
mille), nous avons utilisé les rapports publiés par les
gestionnaires de la RNVA [DEJAIFVE
2006]
[DEJAIFVE
& ESQUIROL 2012] .
Tableau
1 : Espèces
nicheuses
12
espèces disparues en orange
6 Espèces en forte diminution en jaune
|
Nom
scientifique
|
Estimation
du nombre de couples nicheurs 1974-1978 sur 425 ha
[GUELIN
1978]
(soit
1/3 de la surface de l’actuelle RNVA)
|
Accenteur
mouchet
|
Prunella
modularis
|
65
|
Alouette
des champs
|
Alauda
arvensis
|
25
|
Alouette
lulu
|
Lullula
arborea
|
10
|
Bergeronnette
grise
|
Motacilla
alba
|
12
|
Bergeronnette
printanière
|
Motacilla
flava
|
6
|
Bondrée
apivore
|
Pernis
apivorus
|
1
|
Bouscarle
de Cetti
|
Cettia
cetti
|
3
|
Bouvreuil
pivoine
|
Pyrrhula
pyrrhula
|
15
|
Bruant
des roseaux
|
Emberiza
schoeniclus
|
10
|
Bruant
jaune
|
Emberiza
citrinella
|
10
|
Bruant
proyer
|
Emberiza
calandra
|
7
|
Bruant
zizi
|
Emberiza
cirlus
|
2
|
Buse
variable
|
Buteo
buteo
|
6
|
Canard
colvert
|
Anas
platyrhynchos
|
20
|
Chardonneret
élégant
|
Carduelis
carduelis
|
8
|
Chevalier
guignette
|
Actitis
hypoleucos
|
2
|
Chevêche
d'Athéna
|
Athene
noctua
|
2
|
Chouette
hulotte
|
Strix
aluco
|
2
|
Corneille
noire
|
Corvus
corone
|
20
|
Coucou
gris
|
Cuculus
canorus
|
3
|
Cygne
tuberculé
|
Cygnus
olor
|
1
|
Épervier
d'Europe
|
Accipiter
nisus
|
1
|
Étourneau
sansonnet
|
Sturnus
vulgaris
|
20
|
Faisan
de Colchide
|
Phasianus
colchicus
|
7
|
Faucon
crécerelle
|
Falco
tinnunculus
|
3
|
Faucon
hobereau
|
Falco
subbuteo
|
1
|
Fauvette
à tête noire
|
Sylvia
atricapilla
|
90
|
Fauvette
babillarde
|
Sylvia
curruca
|
9
|
Fauvette
des jardins
|
Sylvia
borin
|
35
|
Fauvette
grisette
|
Sylvia
communis
|
130
|
Gallinule
poule-d'eau
|
Gallinula
chloropus
|
10
|
Geai
des chênes
|
Garrulus
glandarius
|
15
|
Gobemouche
gris
|
Muscicapa
striata
|
10
|
Grèbe
castagneux
|
Tachybaptus
ruficollis
|
1
|
Grimpereau
des jardins
|
Certhia
brachydactyla
|
12
|
Grive
musicienne
|
Turdus
philomelos
|
4
|
Gros-bec
casse-noyaux
|
Coccothraustes
coccothraustes
|
1
|
Hibou
moyen-duc
|
Asio
otus
|
?
|
Hirondelle
de rivage
|
Riparia
riparia
|
400
|
Huppe
fasciée
|
Upupa
epops
|
4
|
Hypolaïs
polyglotte
|
Hippolais
polyglotta
|
15
|
Linotte
mélodieuse
|
Carduelis
cannabina
|
2
|
Locustelle
tachetée
|
Locustella
naevia
|
3
|
Loriot
d'Europe
|
Oriolus
oriolus
|
7
|
Martin-pêcheur
d'Europe
|
Alcedo
atthis
|
3
|
Merle
noir
|
Turdus
merula
|
180
|
Mésange
à longue queue
|
Aegithalos
caudatus
|
20
|
Mésange
bleue
|
Cyanistes
caeruleus
|
12
|
Mésange
boréale des saules
|
Poecile
montanus salicarius
|
10
|
Mésange
charbonnière
|
Parus
major
|
20
|
Mésange
nonnette
|
Poecile
palustris
|
8
|
Milan
noir
|
Milvus
migrans
|
3
|
Moineau
domestique
|
Passer
domesticus
|
3
|
Moineau
friquet
|
Passer
montanus
|
15
|
Œdicnème
criard
|
Burhinus
oedicnemus
|
9
|
Perdrix
grise
|
Perdix
perdix
|
2
|
Perdrix
rouge
|
Alectoris
rufa
|
6
|
Petit
Gravelot
|
Charadrius
dubius
|
20
|
Pic
épeiche
|
Dendrocopos
major
|
6
|
Pic
épeichette
|
Dendrocopos
minor
|
2
|
Pic
vert
|
Picus
viridis
|
7
|
Pie
bavarde
|
Pica
pica
|
12
|
Pie-grièche
écorcheur
|
Lanius
collurio
|
12
|
Pigeon
colombin
|
Columba
oenas
|
3
|
Pigeon
ramier
|
Columba
palumbus
|
6
|
Pinson
des arbres
|
Fringilla
coelebs
|
3
|
Pipit
rousseline
|
Anthus
campestris
|
2
|
Pouillot
fitis
|
Phylloscopus
trochilus
|
25
|
Pouillot
véloce
|
Phylloscopus
collybita
|
50
|
Roitelet
à triple bandeau
|
Regulus
ignicapilla
|
?
|
Rossignol
philomèle
|
Luscinia
megarhynchos
|
90
|
Rougegorge
familier
|
Erithacus
rubecula
|
30
|
Rougequeue
à front blanc
|
Phoenicurus
phoenicurus
|
1
|
Rousserolle
effarvatte
|
Acrocephalus
scirpaceus
|
1
|
Serin
cini
|
Serinus
serinus
|
1
|
Sittelle
torchepot
|
Sitta
europaea
|
1
|
Sterne
naine
|
Sternula
albifrons
|
9
|
Sterne
pierregarin
|
Sterna
hirundo
|
12
|
Tarier
pâtre
|
Saxicola
rubicola
|
2
|
Tourterelle
des bois
|
Streptopelia
turtur
|
40
|
Traquet
motteux
|
Oenanthe
oenanthe
|
4
|
Troglodyte
mignon
|
Troglodytes
troglodytes
|
50
|
Vanneau
huppé
|
Vanellus
vanellus
|
6
|
Verdier
d'Europe
|
Carduelis
chloris
|
4
|
TOTAL
|
80
(82
avec 2 espèces à statut incertain)
|
IV
- Discussion
A – A propos des 12 espèces disparues (soit
15% des 80 espèces recensées en 1978) :
A1
- Alouette des champs
(Alauda arvensis)
Sur
les 25 couples présents dans le secteur étudié de 1974 à 1978,
plus aucun n'est recensé depuis 2017. Les données récentes (source
: https://www.faune-aura.org,
indices de reproduction probables et certains), sur l'ensemble de
l'actuelle RNVA, sont rares : 3 données en 2017, 1 en 2018, 2 en
2019, 1 donnée en 2023 en limite de réserve, pour des oiseaux qui
ne sont probablement plus nicheurs. L'écroulement des populations
d'Alouettes semble dater des années 1980-1985, période pendant
laquelle, surtout sur la rive droite de l'Allier, des systèmes
agricoles basés sur l'élevage et les céréales sont passés, sur
des milliers d'hectares, au maïs intensif irrigué. On peut
considérer que l'espèce ne niche plus dans le lit moyen de l'Allier
et presque plus dans le lit majeur. Pourtant les milieux potentiels
existent encore (malgré la colonisation lente des habitats
arbustifs). Une étude menée par ROCHÉ [ROCHÉ 2023] sur le
linéaire Allier - Loire (par une série d'IPA), montre également
une baisse forte de -61% de l'Alouette entre 1990 et 2011.
A2
- Bouvreuil pivoine
(Pyrrhula
pyrrhula)
La
disparition de cette espèce de l’ensemble du Val d’Allier et de
pratiquement tout le département (une seule donnée de reproduction
probable en 2022 dans l'Allier, en montagne bourbonnaise, et aucune
en 2023 !) date aussi du tournant du millénaire. De 2000 à
2007 [LPO 2010], une trentaine de carrés Atlas (10x10 km) étaient
encore occupés par le Bouvreuil dans l’Allier, mais il était déjà
souligné qu'il « évitait les plaines ». Le Bouvreuil
fait donc partie du cortège d’espèces qui ont diminué et souvent
disparu sans que la communauté ornithologique n’appréhende et
surtout ne comprenne vraiment le phénomène, et il a fallu sa
complète disparition de larges secteurs pour qu’on s’en rende
compte ! Le Bouvreuil pivoine n’est pas une espèce
strictement montagnarde, et si elle se retrouve actuellement confinée
surtout dans les forêts au-dessus de 800 mètres d’altitude, la
raison ne peut pas être uniquement recherchée dans les mutations
agricoles. Une autre cause est donc probablement le réchauffement
climatique.
A3
- Bruant jaune
(Emberiza
citrinella)
Un
peu à l’image du Bouvreuil, ce passereau a considérablement
régressé (seulement une quinzaine de sites de reproduction –
probable et possible – en 2022 dans le département de l’Allier,
et 13 en 2023) alors qu’il était très commun avant l’an 2000.
Son habitat dans le Val d’Allier est pourtant toujours représenté :
des landes herbacées pâturées envahies par les fourrés de
prunelliers et aubépines. Cette diminution est perceptible aussi
dans le département voisin du Puy-de-Dôme, où l’espèce est
actuellement surtout fréquente au-dessus de 600 mètres d’altitude.
Par exemple, pour les trois années 2020-2022, on peut noter que
l’optimum est clairement vers 900 à 1000 m d’altitude où les
abondances sont beaucoup plus élevées qu’en plaine. Une étude
sur les plateaux agricoles des couzes (63) [DULPHY & GUELIN 2023]
a estimé la densité de l’espèce à un peu plus de 7 couples/km²
en 2020, alors qu’elle était de près de 30 couples/km² trente
années auparavant ! Jusqu’à récemment, une telle chute
d’effectifs était automatiquement attribuée à la seule
intensification agricole et notamment à l'arrachage des haies. Même
si cette cause reste probable, on doit poser l’hypothèse d’un
recul lié également au réchauffement global.
A4
- Chevêche d’Athéna
(Athene
noctua) :
La
disparition de ce rapace nocturne est une des conséquences de
l’intensification agricole sur le périmètre proche du lit mineur
de l’Allier. La mutation principale, très brutale, s’est
effectuée surtout entre 1980 et 1985, en quelques années, avec le
passage en maïsiculture intensive irriguée, avec destruction des
pacages extensifs. L’extrait de photographie aérienne de la carte
1 montre, à cinquante ans d’intervalle, les transformations du
paysage : d’immenses pacages plantés de saules têtards (en haut à
gauche de la photo, au nord-ouest par exemple) ont été remembrés,
défrichés et plantés en maïs et la plupart des ruisseaux bordés
de saules ont été recalibrés.
Les
Chevêches nicheuses dans le lit moyen sauvage de l’Allier au sens
strict étaient rares mais en contact avec les populations des
milieux agricoles alentours. La disparition de la forte population
périphérique a probablement entraîné celle des couples de
Chevêches en milieu naturel (qui se reproduisaient dans les vieux
saules, les souches d'arbres entraînées par les crues ou les
terriers de lapins des falaises sableuses). Une bonne vingtaine de
couples étaient connus autour et en limite du secteur d’étude. Il
était facile dans les années soixante-dix, avec un coup de repasse
au magnétophone, en pleine journée et en plein soleil, de faire
venir autour de soi 2, 3 voire 5 chevêches simultanément. Aucun
couple n'a été noté nicheur dans la RNVA depuis fort longtemps,
même si quelques observations sporadiques sont encore signalées en
zone périphérique.
A5
- Moineau friquet
(Passer
montanus)
L’espèce
n’a plus été observée avec des preuves tangibles de reproduction
dans l’Allier depuis 2019, et depuis 2012 dans le périmètre de la
RNVA. Le Moineau friquet est aussi en diminution dans tous les autres
départements auvergnats. L’espèce était commune en bord
d’Allier, nicheuse dans les trous de pics et autres cavités de
saules. Elle était également connue pour nicher dans les trous des
colonies d’hirondelles de rivage. Le Moineau domestique était
quasi-absent de ces milieux. Nous pensons que l'intensification
agricole ne peut pas être la seule cause d'un tel déclin, sans
pouvoir le démontrer.
A6
- Perdrix grise
(Perdix
perdix)
et A7
- Perdrix
rouge
(Alectoris
rufa)
La
disparition quasi-complète de ces deux espèces dans la RNVA est
d'abord une conséquence de l'arrêt des lâchers cynégétiques. Les
couples nicheurs sur les plages de l'Allier dépendaient sûrement de
ces apports d'individus issus d'élevage. Les milliers d'hectares de
maïs irrigués en périphérie, notamment en rive droite, ne sont
également pas favorables du tout.
A8
- Pipit rousseline
(Anthus
campetris)
1
à 3 chanteurs de cette espèce méridionale ont été notés
régulièrement chaque année jusqu'en 1989 dans le périmètre de la
RNVA, en particulier dans la zone d'étude de 1974-1978 (dernière
reproduction certaine : une famille, avec 3 jeunes juste volants
observés par René BLANCHON le 5 août 1989 ).
En
2007, un couple avec mâle chanteur est noté plusieurs fois de juin
à juillet, mais sans preuve de reproduction certaine. Enfin, un
dernier mâle chanteur, isolé, est observé en juin 2010.
|
Photo.2
: Un des derniers mâles chanteurs de Pipit rousseline du Val
d'Allier en 2007 (Photo de l'auteur)
|
La
disparition de l'espèce est une conséquence probable de la
fermeture des milieux (à cause de la modification du régime
hydrologique), mais la question reste ouverte, car dans certains
méandres, quelques hectares favorables (est-ce suffisant ?)
persistent. Il faut aussi prendre en compte sa diminution au niveau
national, qui doit toucher plus fortement les petites populations
périphériques et isolées.
A9
- Sterne pierregarin
(Sterna
hirundo)
et A10 - Sterne naine
(Sterna
albifrons)
Les
deux espèces ont été notées nicheuses couramment jusqu'au
tournant du millénaire en l'an 2001 (la dernière grande colonie
date de 1993 avec une donnée de 95 adultes de Pierregarins et 10
juvéniles volants en juillet 1993).
Pour
la Sterne pierregarin, aucune nidification certaine n'est notée
depuis 2014 (dernière petite colonie avec 2 couples de Sterne
pierregarin et 5 couples de Sternes naine). Quelques données sont
citées après 2014, avec souvent des parades ou des transports de
poissons, mais les codes Atlas "certains", ou même
"probables" sont à notre avis très abusifs, et aucune des
deux espèces ne s'est reproduite depuis une décennie dans la RNVA.
Pour la Sterne naine, une couveuse est notée en 2018, mais sans
suite.
La
disparition de ces deux espèces dans la RNVA doit être replacée
dans un contexte plus large : celui de l'implantation d'une grosse
colonie très "centripète" juste en aval du Pont
Régemortes de Moulins. En effet, en l'an 2000, la réfection des
passes à poissons au niveau de ce pont a créé juste en aval deux
courants d'eaux vives permanents permettant la constitution de
petites îles pérennes dans ce milieu péri-urbain. Les efforts de
protection de la LPO ont porté leurs fruits puisque cette colonie
s'est développée. Chez cette espèce, la fidélité aux sites de
reproduction qui réussissent est très nette, et cette grosse
colonie a progressivement "aspiré" tous les couples de
l'amont (et probablement de l'aval), même si des sites potentiels
existent encore dans la RNVA, identiques à ceux des décennies
précédentes. La Sterne pierregarin, finalement ne se reproduit donc
plus dans la zone protégée de la RNVA : la population est donc
concentrée en une seule colonie soumise à de nombreux aléas car
située dans un des pires environnements qui soit, ce qui n'est pas
sans poser des questions. Pour la Sterne naine, le constat est
identique, à la différence que cette espèce est probablement
capable d'assurer des reproductions isolées dans la RNVA.
A11
- Traquet motteux
(Oenanthe
oenanthe)
3
ou 4 couples de cette espèce se reproduisaient régulièrement sur
les plages de la zone étudiée, nichant dans les souches charriées
(environ 10 à 15 couples sur l'ensemble de la future RNVA, car il
n'a jamais été abondant). Le dernier couple a été noté en juin
1993 par Gaston Pic. La disparition du Traquet motteux de toutes les
zones de basse altitude de France continentale témoigne d'une forte
sensibilité au réchauffement climatique (les derniers couples
français de basse altitude subsistent sur quelques îles bretonnes
rocheuses, au climat plus frais). La population du Val d'Allier était
aussi, comme dans le cas du Pipit rousseline, relativement isolée.
A12
- Vanneau huppé
(Vanellus
vanellus)
5
à 10 couples étaient notés nicheurs jusqu'en 1993, date de la
dernière reproduction isolée avec un nid garni, et malgré une
tentative en avril 2009, sans suites. Les nombreux chants de parade
de Vanneau étaient le signe, en mars, de l'arrivée du printemps...
Comme pour l'Alouette des champs ou la Chevêche d'Athéna, la
diminution très forte des effectifs nicheurs est clairement liée à
la modification de l'habitat. Il semble que la population nicheuse
dans les milieux naturels très linéaires du val d'Allier ait été
dépendante des populations des milieux agricoles alentours. De 2021
à 2023, seuls 3 couples nicheurs certains (avec couveur et/ou
poussins) ont été observés dans le département de l'Allier, sur 3
sites différents chaque année (la population était estimée entre
125 à 200 couples en 1996 - LPO, loc.cit.). On peut cependant se
poser la question d'autres paramètres de causalité, car la seule
modification des milieux agricoles n'est pas une explication
totalement satisfaisante.
B
: Les six espèces en forte diminution
(soit 8% des 80 espèces recensées en 1978) :
B1
- Accenteur mouchet
(Prunella
modularis)
Avec
65 chanteurs estimés sur 425 ha en 1978 (ce qui donnait par
extrapolation 200 couples sur le périmètre de la RNVA si on
considère que la surface étudiée en 1978 fait le tiers de la
RNVA), l'espèce a fortement chuté : la population était estimée
en 2016-2017 à 50 couples (32-77) [GUELIN 2018], soit 4 fois moins.
L'habitat privilégié étant la lande à prunelliers, en
augmentation, il est peu probable que ce soit une modification du
milieu qui ait engendré cette baisse. Le réchauffement global est
probablement la cause principale de cette diminution.
Grâce
à un suivi de long terme par Indice Ponctuels d'Abondance, ROCHÉ
[ROCHÉ 2023] trouve également une baisse significative pour
l'Accenteur mouchet, de -42 % entre 1990 et 2011 (sur deux décennies
au lieu de cinq) sur l'ensemble du bassin de la Loire.
B2
- Bergeronnette printanière
(Motacilla
flava)
Dans
la période 2019 -2023, chaque année, la Bergeronnette printanière
est nicheuse sur un ou deux sites (la dernière et unique donnée de
reproduction certaine est datée de juillet 2022). Elle était assez
fréquente dans les milieux semi-inondés à Baldingères et jeunes
saules en 1978 et il est très probable que plusieurs dizaines de
couples (50 ?) nichaient dans le périmètre de l'actuelle RNVA. La
succession d'étés très secs a probablement entrainé l'assèchement
de nombreuses zones de reproduction de l'espèce.
B3
- Bruant des roseaux
(Emberiza
schoeniclus)
Cette
espèce se reproduisait dans les mêmes biotopes que la Bergeronnette
printanière, et a disparu à peu près comme elle. Le dernier couple
cantonné est noté en 2019, et les années précédentes, seuls 2 ou
3 sites étaient occupés. On peut chiffrer la population des années
1974-1978 entre 50 à 100 couples dans le périmètre de la future
RNVA, présents dans toutes les saulaies à Baldingères favorables.
La diminution générale de cette espèce en Auvergne ne peut pas
être imputée au seul recul des zones humides.
B4
- Locustelle tachetée
(Locustella
naevia)
Pour
cette espèce, le statut a toujours été assez mystérieux : les
chanteurs entendus dans les saulaies humides en mai et juin
étaient-ils réellement nicheurs ? Les chants sont audibles surtout
la nuit, et cela nécessite des écoutes nocturnes, plutôt rares. De
plus, il est difficile d'affirmer une probabilité de reproduction
avant la mi-mai. Et même après cette date, la notation d'un mâle
chanteur isolé devrait s'effectuer, par prudence, seulement avec un
code de reproduction "possible". La plupart des données
annuelles sont donc des mâles chanteurs isolés codés "possibles"
: 57 données de mâles chanteurs sont archivées dans
https://www.faune-aura.org
en 50 ans dans le périmètre de la RNVA, 52 "possibles" et
5 en code "probable", la dernière datant de 1990 (2
chanteurs simultanés le 10 juin). Une série de 4 données
successives sur un quadrat mené en 1978 indique un cantonnement de
reproduction, mais c'est la seule preuve à peu près recevable de
nidification en cinquante ans ! En tout état de cause, même si
quelques couples nicheurs étaient possibles autrefois, plus aucun
indice fiable n'est actuellement obtenu.
B5
- Mésange des saules
(Parus
montanus rhenanus/salicarius)
La
Mésange boréale comprend deux sous-espèces : une sous-espèce
alpine (P.m.alpestris)
très cantonnée aux hautes altitudes des Alpes, et une sous-espèce
présente en Auvergne (ainsi que dans le nord-est et l'est de la
France) en plaine et en moyenne montagne, la Mésange des saules
(Parus
montanus rhenanus/salicarius).
Elle est distinguée par son chant caractéristique et bien différent
de l'autre sous-espèce. Des dizaines de couples étaient notés dans
les années 1974-1978 dans toutes les ripisylves, et il était rare
de ne pas noter la Mésange des saules lors d'une sortie. Les
populations de l'espèce n'ont pas cessé de diminuer depuis au moins
une décennie, comme en témoigne le graphique 1 : malgré une forte
pression d'observation de 2016 à 2019, un basculement semble s'être
produit en 2017 avec une diminution forte des données.
Seuls
4 ou 5 méandres semblent encore héberger quelques couples de
l'espèce [Note de l’auteur : aucun couple cantonné n'a été trouvé en 2024 et 2025 malgré des recherches]. Nous posons l'hypothèse d'un lien entre le réchauffement
climatique et la chute de cette Mésange dans toutes les zones de
plaines. Elle est réfugiée actuellement plutôt au-dessus de 800 m
dans les forêts humides de Chaîne des Puys ou des Combrailles, mais
même dans ces secteurs elle semble en diminution.
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Graphique
1 : Nombre annuel de données de reproduction pour la Mésange
des saules (codes probable et certain) dans le périmètre de la
RNVA. (source : faune-AURA.org)
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Photo
3 : Mésange des saules (Parus
montanus rhenanus/salicarius) - Photographie de l'auteur
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B6
- Pouillot fitis
(Phylloscopus
trochilus)
L'évolution
des populations de cette espèce en val d'Allier semble très
similaire à celle de la Mésange des saules : assez fréquent dans
les décennies 1980-2000, les effectifs du Pouillot fitis ont décliné
lentement, et ont subi une baisse nette depuis 2018 (conséquence des
étés très chauds et secs ?). Le milieu de reproduction est
essentiellement la lande à saules pourpres. Mais prouver la
nidification du Pouillot fitis a toujours été un problème : en
avril et mai, une grande quantité d'individus chanteurs est notée,
qui sont pour l'essentiel des migrateurs, et nous considérons, par
prudence pour ce passereau très particulier, que les indices de
reproduction probable et certain ne devraient être utilisés que fin
mai et en juin-juillet : seules deux données de reproduction
certaine sont disponibles en cinquante ans (!) , en juillet 1985 et
en juillet 2011 avec des observations de nourrissages de poussins. Et
pour la même période, 323 observations de reproduction probable
sont citées !
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Graphique
2 : Nombre de données de reproduction pour le Pouillot fitis
(codes probable et certain) dans le périmètre de la RNVA depuis
2008.
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Photo
4 : Pouillot fitis (Phylloscopus
trochilus) - Photographie de l'auteur
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V
- SYNTHÈSE ET CONCLUSION
Cette
analyse donne une vision évidemment pessimiste - mais sans grande
surprise dans le contexte actuel - de l'évolution de la diversité
de l'avifaune dans la RNVA depuis 50 ans avec 18 espèces sur 80
(presque un quart) en très mauvais état de conservation, disparues
ou quasi-disparues. En fait, une seule
espèce déjà présente il y a cinquante ans est en augmentation :
le
Pigeon ramier
(Columba
palombus),
qui a une progression nationale spectaculaire !
Il
faut cependant compléter cet état des lieux avec quelques
informations supplémentaires concernant de nouveaux arrivants.
Tout
d'abord, deux espèces ont niché de manière transitoire dans la
RNVA : le Goéland
leucophée
(Larus
cachinans)
pour lequel quelques reproductions très isolées ont été notées
entre 2001 et 2010, sans suites, et probablement le Crabier
chevelu
(Ardeola
ralloides)
avec une donnée unique de reproduction, malheureusement non
documentée, en juin 1997 dans la héronnière du Bec de Sioule à la
Ferté-Hauterive.
Une
autre espèce, la Bouscarle
de Cetti
(Cettia
cetti) a
eu le temps, en cinquante ans, de disparaître et de revenir à son
niveau originel ! Après l’hiver extrêmement froid de l’année
1962-1963, Gaston Pic (comm. pers.) l’avait, lui aussi, vue
disparaître puis revenir à des niveaux de populations « normaux »
dans les années soixante-dix, en à peine une décennie. La
population culmine au début des années quatre-vingt avec 20
chanteurs au minimum dans ce qui sera la future RNNVA (sur 20 km de
longueur, soit 1 chanteur par km). Puis les populations de Bouscarle
ont disparu à nouveau brutalement de tout le val d’Allier (et de
toute l'Auvergne) en janvier 1985, il y a 35 ans, en une ou deux
semaines, lors d’un coup de froid rigoureux (avec des températures
autour de -15 à -20°C sur quinze jours). Depuis, la Bouscarle a
reconquis beaucoup plus lentement le terrain perdu, et arrive
vraisemblablement par le nord du Val d’Allier, avec quelques
données d’oiseaux chanteurs dans la RNVA en 2008, puis 2015, 2017,
2018, 2022, 2023 etc. On peut souligner la différence de rythme de
recolonisation – sans l’expliquer - entre 1962 → 1970, comparé
à 1985 → 2020, où l’espèce a semblé peiner à retrouver ses
bastions du siècle dernier.
Enfin,
8 nouvelles espèces ont été notées nicheuses dans le Val d’Allier
depuis l'étude de 1978 : le Guêpier
d’Europe
(Merops
apiaster)
dès 1989, le Héron
gardeboeufs
(Bubulcus
ibis)
en 1993, la
Cigogne blanche
(Ciconia
ciconia)
en 1997, la Bernache
du canada
(Branta
canadensis)
en 2001, le Pic
noir
(Dryocopus
martius)
en 2002, le Pic
mar
(Dendrocopos
medius)
en 2016, le Balbuzard
pêcheur
(Pandion
haliaetus)
en 2018 et l'Ouette
d’égypte
(Alopochen
aegyptiaca)
en 2022.
Le
Guêpier et le Héron gardeboeufs sont les premiers témoins
probables du réchauffement global (Le premier couple de Guêpier en
bourbonnais, en 1973, avait déjà agité le monde ornithologique, et
on avait eu le droit d'aller l'observer que sous le sceau du secret
le plus absolu), Bernache du Canada et Ouette d'Egypte sont des
espèces exotiques échappées, alors que les Pics noir et mar
suivent la progression lente de la ripisylve et surtout de la
ripisylve en mauvais état à cause de la baisse du niveau des nappes
alluviales ...
Le
retour de la Cigogne blanche et du Balbuzard pêcheur apparaissent
presque comme des épiphénomènes, et ne sont pas les témoins d'une
amélioration des milieux, mais le résultat de la protection légale
des espèces, d'une dynamique européenne favorable et d'opérations
ciblées de plateformes artificielles.
Le
bilan est donc négatif avec une perte "sèche" d'espèces
entre 1978 et 2024 (moins 12 espèces sur 80, et cette perte va
certainement s'accentuer), pas vraiment compensée par l'apparition
d'espèces aussi rares. La perte de densité doit être aussi très
forte, mais nous ne pouvons pas la chiffrer. Parmi les causes de
cette régression, aucune ne pourra être corrigée à moyen terme
(que ce soit l'intensification agricole, ou le réchauffement
climatique). Un effort pourrait être fait en améliorant la
dynamique fluviale pour régénérer plus de milieux ouverts, mais
les opérations de ce type sont extrêmement couteuses et très
localisées, avec peu d'impact global.
Il
est difficile de rester insensible à ces changements quand on a vécu
des moments assez extraordinaires en débutant l'ornithologie sur les
plages de l'Allier : souvenirs de matinées ensoleillées de mai où
chantaient ensemble les Pipits rousselines, Traquets motteux,
Vanneaux huppés, Oedicnèmes, des dizaines d'Alouettes des champs,
les Perdrix rouges, la Chevêche ... Petit coup de dopamine à
l'évocation de ces instants magiques... C'est certainement la
mémoire de ces moments particuliers qui pousse le naturaliste à
donner beaucoup d'énergie pour sauvegarder ce qui lui procure une
telle sensation. Au-delà de ce constat, cela doit nous encourager à
poursuivre le suivi de toutes ces espèces, ne serait-ce que pour
témoigner des changements profonds qui les affectent.
VI
- BIBLIOGRAPHIE
[DEJAIFVE
2006] DEJAIFVE P.-A., 2006. Espèces
d'oiseaux s'étant reproduites au moins 1 fois depuis la création de
la RNN du Val d'Allier (1994). Bilan au 1 octobre 2006.
Rapport interne LPO-Auvergne et ONF. 6 p.
[DEJAIFVE
& ESQUIROL 2012] DEJAIFVE P.-A. & ESQUIROL N., 2012. Suivis
(1995-2011) d’une vingtaine d’espèces d’oiseaux nicheurs dans
la Réserve Naturelle Nationale du Val d’Allier et dans le domaine
public fluvial de Paray-sous-Briailles à Villeneuve-sur-Allier.
Rapport d’étude LPO-Auvergne. 29 p.
[GUELIN
1978] GUELIN
F., 1978. L'avifaune
d'un méandre de l'Allier.
Prix scientifique Philips, publication interne S.A. Philips, 186 p. (
dossier
téléchargeable
sur le site de l'auteur ).
[DULPHY
& GUELIN 2023] DULPHY J.P. & GUELIN F. 2023.- L’avifaune de
plateaux agricoles granitiques au sud de Clermont-Ferrand – Trente
ans après, estimation des populations de quelques espèces des
années 1990 par Distance Sampling et Indices Ponctuels d’Abondance.
Le
Grand-Duc,
91 : 84-96
[GUELIN
2018] GUELIN F. 2018.- Dénombrement par Distance Sampling des
populations nicheuses de passereaux communs dans la Réserve
Naturelle Nationale du Val d'Allier (03). Le
Grand-Duc 86
: 2-31
[LPO
AUVERGNE 2010] LPO
Auvergne, 2010.-Atlas
des oiseaux nicheurs d’Auvergne,
Delachaux et Niestlé, Paris.
[ROCHÉ
et al. 2023] ROCHÉ J.E., FAIVRE B., FROCHOT B, 2023. - La Loire des
oiseaux. Revue
scientifique Bourgogne-Franche-Comté Nature -
N° 37/38-2023 : 375-384
|
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Annexe
1 : Zone d’étude de 1974-1978 (surface
rouge,
au nord) et de l’actuelle réserve naturelle nationale du Val
d’Allier (trait
rouge)
©
IGN
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ANNEXE
2 : Carte originale de la végétation entre 1976 et 1978.
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Annexe
3 : Comparaison du site à 50 ans d’écart (1970 à gauche
et 2022 à droite) -
©
IGN
Noter
sur ce document la diminution très visible des surfaces
sableuses (très claires) et herbacées, au profit des zones
arbustives et des ripisylves.
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